lundi

Jamais plus

Il avait dit jamais plus. Jamais plus elle, jamais plus elle et lui.
Elle lui en avait trop fait.
Il avait dit je pars. Dégoûté, transi.
Elle l’avait adulé puis meurtri, cassé.
Alors il s’en était allé. Mettre des baumes sur ses blessures, des onguents des carapaces, des oublis.

Frileux, il s’était refait peu à peu. Des histoires d’un soir l’avaient réchauffé, sans trop y croire. Des regards croisés lui avaient donné envie. Envie d’histoire. C’était au printemps, en général. Et à l’automne : ça le prenait, une bouffée d’air comme un espoir. Puis ça retombait. A quoi bon. Aucune qui vaille la peine, de toute façon. Bien mieux derrière le bouclier. Protégé, verrouillé. Une petite branlette, une douche et puis dormir. Ne pas penser ni ressentir. Dormir. Il pouvait dormir des dix heures, des quinze heures d’affilée. Ne pas voir le soir qui tombe, pourpre et vermeil. Et encore moins le lever de soleil, avec sa lumière rose, ses faux espoirs. Ne pas se projeter en l’avenir, ni s’imaginer dans la durée : il y en aurait toujours assez. Et la fin, il la savait : elle lui était familière, pour lui ou pour d’autres, il l’avait souvent frôlée, côtoyée. Il en avait fait le tour. Alors il n’y pensait plus. La fin viendrait bien quand il faut.

Il fallait tuer l’avant…

Il n’était pas tout seul, il le savait. Il avait quelques compagnons de route. Ils se tenaient chaud l’hiver. Ils avaient tous leurs blessures, leurs histoires. Avec le temps, ça ne s’arrangeait pas. Ils avaient chacun leur armure, plus ou moins rutilante, ils l’entretenaient avec soin : pas de fêlure apparente, c’est nickel et ça ne prend pas la tête.
Mais quand un intrus de la planète féminine s’approchait, c’était tout différent. Qu’elle soit un peu gentille, femme fille aguichante… Pas qu’un peu qu’ils s’y voyaient. Sans y croire réellement, mais en y fantasmant vraiment. A fond, complètement dedans. Quelquefois ça marchait, l’un des coqs devenait roi, trouvait sa reine et s’en allait.
Mais lui, non. Il restait là, l’armure rouillée, ours même pas comestible. Quelque chose le retenait de faire le coq, de se prendre pour un roi. Il patinait dans le présent, s’embourbait.

Et un soir, il l’avait revue. Il avait pensé « plus jamais rien à faire avec elle ! » Il avait voulu prendre la tangente, s’écarter de son chemin, faire celui qui ne l’avait pas croisée. Mais pas moyen. Elle s’était plantée devant lui, les yeux dans ce qui lui restait de regard fuyant. Pris au piège.
« Tu as un moment, on prend un verre ? »

Tout mais pas ça !

Il avait cherché un prétexte, un alibi une urgence, un truc à bredouiller au moins ! Mais rien. Il n'avait rien trouvé. Et elle avait souri. Alors, il avait juste soufflé « oui ».

Il s'étaient assis comme il n'avait jamais pensé vivre ça. C'était surréaliste. La tête lui bourdonnait, il ne disait rien. Mais elle, si. Elle en avait à dire. D'abord peu, un peu gênée, puis le flot était venu, comme si elle avait attendu ce moment depuis longtemps. Et elle lui avait raconté ses histoires, ses galères glauques et ordinaires. Et ses regrets qui lui venaient. Ses remords, dont elle se mordait les doigts, les lèvres, enfin tout ce qu'elle pouvait. Son estime qu'elle n'avait pas su garder... Elle s'en voulait. Elle voulait le lui dire.

Il entendait de loin, dans le brouillard de son trouble. Il ne comprenait pas tout. Mais il avait entendu ça, ces mots incroyables, « son estime qu'elle n'avait pas su garder ».

Ça lui avait fait comme un déclic, une décharge électrique, un coup de chaud partout. Le brouillard s'était levé. D'un coup, comme un ciel de matin rose. L'armure rouillée avait craqué. Il avait envie d'elle. Ou d'une autre, il ne savait pas très bien. Mais il avait envie d'avoir envie. Envie d'une histoire, envie d'envisager l'avenir, de se sentir vivant.

Il avait simplement dit : « Merci. C'est bien ».

Elle s'était tue. Il avait souri, l'avait regardée, vraiment, longuement.

Puis il était parti.


Un autre jour... Demain serait un autre jour. Pour la revoir, ou pas.

Mais le premier du jour du reste de... vous savez bien.


2 commentaires:

  1. Je vous découvre... et c'est étrange, j'ai l'impression de connaître votre "il"! :o)

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  2. Bonjour Chimères.
    Ah oui vous aussi ? "Il" y en a tant... ça me fait toujours quelque chose.
    "Il" et "elle" se loupent tellement...

    Merci d'être arrivée jusqu'ici !

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